Opération Everest Comex 97


" L’Everest virtuel "


Ils sont sortis le 2 mai, fatigués mais heureux d'avoir atteint le sommet virtuel (pas si virtuelle que cela, l'hypoxie !) de l'Everest. L'Opération Everest COMEX 97 s'est déroulée comme prévue. Un premier bilan : les 8 sujets ont atteint 8000m, 7 sur 8 ont atteint 8848m, dont certains à trois reprises. 90 % des 18 protocoles prévus ont été réalisés.

L'exposition à la haute altitude induit chez l'homme des modifications physiologiques ou pathologiques qui ne sont pas toujours clairement attribuées à l'un ou l'autre des facteurs environnementaux caractéristiques de ce milieu : hypoxie, froid, stress, alimentation inadéquate, etc... L'objectif principal de l'Opération Everest COMEX était donc de préciser l'influence spécifique de l'hypoxie et pour cela de mettre en place des protocoles sophistiqués dans les meilleures conditions possibles de sécurité. En 1946, la marine américaine a organisé une Opération Everest dans laquelle quatre sujets ont atteint l'altitude simulée de l'Everest (1), mais c'est surtout l’Opération Everest II organisée en 1985 qui a permis d'obtenir des données substantielles dans le domaine. Six sujets sur huit participant à l'étude ont atteint, après 40 jours de caisson, l'altitude de l'Everest (2). En 1989, l'Opération Everest Turbo démontrait, sur 6 sujets exposés de façon intermittente à l'hypoxie, que des mécanismes de pré-acclimatation pouvaient se mettre en place en 5 jours (3).
La présente étude a tenté de répondre à de nouvelles questions, ou tout au moins a tenté d'apporter des réponses originales à cette problématique. Comment l'homme arrive-t-il à s'adapter au manque chronique d'oxygène ?


Membres de l’équipe


Huit sujets masculins ont été sélectionnés, âgés de 23 à 37 ans. Moyennement entraînés, ayant tous une expérience de la haute altitude (altitude maximale atteinte de 4100 à 8760 m), les sujets ont été informés du protocole, par ailleurs approuvé par le C.C.P.P.R.B. du CHU de Marseille.

Les membres de l'expédition sont :

  • Kim BODIN
  • Emmanuel CAUCHY
  • Guillaume DESPIAU
  • Jean-François FINANCE
  • Mathieu GAYET
  • Vincent MARCHAND
  • Guillaume SABIN
  • Philippe SERPOLLET
  • Alexandre HERITIER

Protocoles de recherche


Dix-huit protocoles ont été menés à bien. Nous ne donnerons ici que les résultats cliniques et physiologiques de base, recueillis quotidiennement le matin au lever: poids corporel, score clinique de Mal aigu des montagnes (MAM), fréquence cardiaque, saturation artérielle en O2, pression artérielle, concentration en hémoglobine. Trois sujets ont présenté des troubles neurologiques transitoires, rapidement réversibles sous oxygénothérapie: céphalées, aphasie, paralysies focales.


    Principaux résultats scientifiques et publications


    On note une baisse importante du poids corporel. Au cours du séjour de pré-acclimatation, déjà 1,4 kg sont perdus. Puis, la perte est progressive jusqu'à 7000m. Dès le premier jour de récupération à 5000m, les sujets reprennent en moyenne 700 g, puis 900 g en 3 jours. La remontée à 8000m puis 8848m fait redescendre le poids jusqu'à un cumul de perte de 5,4 kg en moyenne (de 3 à 10 kg). Après 4 jours de récupération en normoxie, les sujets ont déjà repris 3,4 kg en moyenne, soit 63 % de la perte totale observée. Cette vitesse de récupération est assez étonnante et semble plus rapide que ce que l'on observe après une expédition réelle sur le terrain. Cette perte de poids est essentiellement due à la baisse de l'apport calorique (de l'ordre de 50% à 7000m).

    La saturation artérielle en O2 diminue progressivement avec l'altitude, pour atteindre un minimum de 68% à 8000 et 8848m. Ce qui est à noter est l'effet de l'acclimatation ventilatoire. En effet, à une altitude donnée, la saturation augmente entre 2 périodes successives. Ainsi, à 5000m, SaO2 est de 86,1% en début de séjour (J2 à J6) et de 88,8 % en milieu de séjour (J20 à J21). A 7000m, SaO2 est de 72 % de J17 à J19 et de 77,3 % à J25.

    Les variations de fréquence cardiaque sont en miroir de celles de SaO2. Fc augmente avec l'altitude, du fait de la stimulation sympathique, mais elle plafonne à 7000m: elle n'est pas plus élevée à 8000m ou à 8848m. On note également un léger effet de l'acclimatation, avec une baisse avec le temps, à altitude constante. Cependant, l'effet est moins net qu'avec la saturation. Au retour en normoxie, le retour de Fc à sa valeur de base est très rapide. Chez certains sujets, Fc de repos est même moins élevé qu'avant l'expérience. Il s'agit peut-être de l'effet bien connu de la désensibilisation des béta-récepteurs cardiaques en hypoxie chronique.

    Les pressions artérielles systémiques systoliques et diastoliques ne varient pas sensiblement. On note seulement de faibles augmentations transitoires après chaque changement de palier.

    Comme prévu, la concentration en hémoglobine augmente au cours du séjour, mais pas de façon linéaire avec l'altitude. On note une augmentation franche jusqu'à 6000m : en moyenne, de 14,8 g/dl en normoxie à 17, 3 g/dl à 6000m. Puis on note une stabilisation. En fin de séjour, à 8000m, les valeurs maximales sont atteintes (en moyenne 18,4 g/dl, de 16,6 à 20,5 g/dl). La vitesse de récupération au retour en normoxie est encore une fois surprenante, puisqu'en 4 jours, la valeur moyenne est pratiquement revenue au niveau de base (14,9 g/dl). Il ne s'agit pas, bien sûr, d'une perte brutale des globules rouges mais vraisemblablement d'une répartition nouvelle des volumes hydriques, avec une augmentation rapide du volume plasmatique dès le retour en normoxie.

    Le score de MAM a été très faible à 5000m en début de séjour, grâce au séjour préalable à l'Observatoire Vallot. Il faut rappeler que les sujets ont souffert lors de ce séjour de pré-acclimatation. Le score a nettement augmenté à 5500, puis à 6500m et 7000m, qui fût certainement le palier d'altitude le plus difficile à supporter. Au retour à 5000m, le score ne revient pas immédiatement à zéro, il réaugmente lors de la remontée mais ne dépasse pas à 8000m la valeur de 7000m. A 8848m, le score n'est pas très élevé, témoignant de la bonne acclimatation des sujets. Les céphalées étaient paradoxalement moins sévères à 8000m qu'à 7000m, mais la dyspnée y était plus intense.

    La VO2max a diminué d'un quart à 5000m, d'un tiers à 6000m et de moitié à 7000m.

    Au total, à ce stade de l'avancement de l'analyse des données obtenues, nous pouvons conclure que les sujets étudiés ont pu atteindre le sommet simulé de l'Everest dans de bonnes conditions physiologiques. Le stress hypoxique a induit des modifications attendues et cohérentes avec la précédente Opération Everest II ainsi qu'avec des observations de terrain. Il semble clair que le succès obtenu par 7 sujets sur 8 qui ont atteint le sommet simulé est lié au contrôle d'autres facteurs d'ambiance tels que la température, le degré hygrométrique et surtout le contrôle des apports hydriques et caloriques. La cohésion du groupe à l'intérieur du caisson, dans des conditions de confinement pas toujours agréables, a été également un facteur déterminant du succès de l'opération. L'attention apportée par l'équipe de surveillance de la COMEX et par les expérimentateurs présents sur place a également contribué a maintenir le moral des troupes, surtout dans les moments difficiles vers 7000m ou plus haut. Emmanuel Cauchy, appelé "papy" parce que le plus vieux de la bande, a joué le rôle de sage et aussi de véritable médecin quand de véritables cas médicaux se sont présentés. Alexandre, le "rescapé", sélectionné du fait du début d'œdème pulmonaire de Vincent à Vallot, était tout étonné d'arriver au sommet... il en a profité pour perdre 10 kg ! Les trois Toulousains ont mis l'ambiance et ont appris à piquer ! Ils ont tous appris à se servir d'un métabographe.

    Les heures et les jours qui suivirent la sortie furent assez difficiles à gérer car ils avaient tous hâte de rentrer chez eux, mais en même temps, ils se sentaient orphelins. Ils se sont vengés de toutes les tortures que nous leur avions fait subir en tartinant les membres des équipes scientifiques d'oeufs frais, de crême Chantilly ou de mousse à raser. Certains sont même passés tout habillés dans la piscine de la COMEX. La résistance s'organisait et une bataille rangée au fusil à eau et à la crême Chantilly eut lieu un soir dans le bâtiment principal du centre hyperbare... Les gens de la COMEX n'avaient jamais vu ça. Il faut dire qu'ils étaient habitués aux plongeurs professionnels et non aux carabins montagnards ...
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